Résumé : Une maladie auto-immune (polyarthrite, lupus, sclérodermie, Gougerot-Sjogren, vascularites, thyroïdite, maladie de Basedow …) chez une femme ne diminue pas en général sa fertilité et ne constitue pas en soi un obstacle au bon déroulement d’une grossesse, à condition que les interactions entre ces deux éléments soient étroitement contrôlées. Mal gérée, une grossesse peut en effet aggraver la pathologie et cette dernière faire échouer un projet de grossesse.
Rappelons d’abord schématiquement qu’une maladie auto-immune est une pathologie provoquée par un dysfonctionnement du système immunitaire : des cellules spécialisées et des substances, les anticorps, sont sensées normalement protéger nos organes, tissus et cellules des agressions extérieures provenant de différents virus, bactéries, champignons... Pour des raisons encore non élucidés, ces éléments se trompent d’ennemi et se mettent à attaquer nos propres organes et cellules. Ces anticorps devenus nos ennemis s’appellent alors « auto-anticorps ».
Il y a encore à peine quarante ans, la grossesse était déconseillée dans la plupart des maladies auto-immunes (MAI), et, jusqu’aux années 80, elle était contre-indiquée chez la femme atteinte d’un lupus érythémateux disséminé en raison de la forte mortalité maternelle. Depuis des progrès immenses ont été réalisés dans leurs traitements permettant ainsi actuellement de bien réussir un tel projet dans la plupart des pays développés, mais toujours sous réserve d’une prise en charge stricte et adéquate. Cette condition n’est pas encore toujours remplie au Maroc où les grossesses conduisent encore trop souvent à des complications et même à des catastrophes (décès de la future mère) pour certaines de ses pathologies comme le lupus. Les deux raisons principales en sont l’ignorance de l’état réel de la femme (maladie auto-immune non diagnostiquée) et le coût élevé de cette prise en charge qui nécessite beaucoup de moyens humains et financiers.
I/ Un suivi médical avant et pendant la grossesse
L’efficacité de la prise en charge nécessite qu’elle se fasse de manière coordonnée au sein d’équipes multidisciplinaires réunissant médecin « de famille » généraliste de la mère, gynécologue-obstétricien, spécialiste de la maladie auto-immune (en général, spécialiste en médecine interne), pédiatre, cardiologue, biologiste, sage-femme éventuellement ….Le bilan préconceptionnel est d’abord fondamental, il doit d’abord évaluer l’état de la personne et du traitement en cours. Certaines situations contre-indiquent momentanément une grossesse comme une hypertension artérielle mal contrôlée, une atteinte rénale évolutive ou encore une poussée de la maladie (notamment d’un lupus systémique ou de certaines vascularites). Le contraceptif prescrit doit par ailleurs s’ajuster aux spécificités de la pathologie sous-jacente.
La grossesse est par contre en général de bon pronostic dans la polyarthrite rhumatoïde où on observe souvent une rémission passagère. Elle ne semble pas avoir d’influence particulière sur l’évolution du Gougerot-Sjögren.
Au delà de la maladie en cause, la gestion des traitements spécifiques est cruciale. Certains médicaments comme le cyclophosphamide, ont des effets négatifs sur la fertilité ; ils peuvent même induire une stérilité définitive (celle-ci est fonction aussi de la dose cumulative, de l’âge et de la réserve ovarienne). Cette fâcheuse conséquence pourrait être prévenue par des analogues de la GnRH.
Certaines thérapeutiques sont contre-indiquées du fait de leurs effets malformatifs ou de leur toxicité fœtale, c’est le cas du méthotrexate et du mycophénolate mofétil (MMF). D’autres par contre peuvent être poursuivis pendant la grossesse comme les corticoïdes, l’azathioprine et les antipaludéens de synthèse. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont contre-indiqués au cours du 3ème trimestre de la grossesse.
Concernant les médicaments biothérapiques, leur utilisation ou leur poursuite en cours de grossesse n’est envisagée en général qu’après avoir écarté les autres options thérapeutiques possibles du fait de l’intensité de l’immunosuppression qu’ils génèrent.
Ainsi si un changement des médicaments contre-indiqués au cours de la grossesse s’impose, il vaut mieux l’effectuer à un moment où la stabilité de la maladie ne peut être mise en péril par une grossesse.
C’est le lupus qui demande ensuite le contrôle le plus strict durant la grossesse : on doit prévoir une surveillance globale - clinique, biologique et échographique - : d’au moins une fois par mois jusqu'à 20 semaines de gestation ; puis tous les 15 jours jusqu'à 32 semaines ; et enfin hebdomadaire jusqu'à l'accouchement.Une poussée lupique est en effet à redouter dans la majorité des grossesses et les risques d'aggravation de la maladie rénale sont augmentés. Cependant, si les mesures de sécurité et des traitements adaptés sont bien respectés, le danger pour la mère et l'enfant est en général limité.
II/ Le contrôle des paramètres biologiques
La présence de certains auto-anticorps sera recherchée, notamment les anti-SSA/SSB et les anti-phospholipides. Les premiers ont la faculté d’entraîner des complications électriques du tissu cardiaque du fœtus, les seconds de provoquer des fausses couches spontanées. Une femme porteuse d’un syndrome des anti-phospholipides et ne prenant aucun traitement préventif (héparine/aspirine) a seulement 50 % de chance de mener une grossesse à terme et moins de 10 % en cas d’antécédents de pertes fœtales ou de fausses couches à répétition. La présence des anticorps anti-thyroïdiens augmente également le risque abortif.
III/ Un risque rare de transmission aux enfantsLa transmission d’une Maladie Auto-Immune (MAI) d’une mère à son enfant est par contre exceptionnelle. Une vigilance s’impose néanmoins à l’égard de l’enfant qui aura toujours par nature une prédisposition, même si elle est faible statistiquement, à contracter d’autres MAI. On observe parfois un lupus néonatal lié à la transmission passive d'auto-anticorps maternels, se traduisant par des signes divers : éruption cutanée, photosensibilité, hépatite, pneumonie, anémie hémolytique, leucopénie ou thrombopénie et parfois un ralentissement de la conduction électrique du coeur du fœtus, appelé bloc auriculo ventriculaire (BAV). L’éruption néonatale régresse spontanément, car les anticorps de la mère sont progressivement éliminés. En revanche, le ralentissement de la conduction électrique du cœur persiste le plus souvent et peut justifier d’appareiller par un stimulateur (pacemaker) le cœur de l’enfant dans les 1res semaines après l’accouchement. Hormis ce problème, ces manifestations disparaissent habituellement au bout de 6 mois
IV/ La poursuite d’une surveillance après l’accouchement
Les risques encourus par la grossesse ne s’arrêtent pas le jour de l’accouchement. Il convient souvent de reprendre les médicaments prescrits avant la grossesse car la rechute est parfois classique comme dans la polyarthrite rhumatoïde. La survenue d’une thyroïdite auto-immune silencieuse est assez fréquente en post-partum : disparaissant habituellement en quelques semaines, elle est susceptible de récidiver lors de grossesses ultérieures ou d’évoluer vers une hypothyroïdie permanente.
Au total, tous les moyens sont là pour garantir le contrôle de la maladie auto-immune et le succès de la grossesse. Toutefois beaucoup de femmes jeunes ignorent souvent qu’elles sont atteintes d’une maladie auto-immune car elles sont dans la phase d’établissement de la maladie où les symptômes, peu perceptibles, apparaissent et disparaissent, échappant ainsi à leur attention ou à un diagnostic. Le résultat peut alors être préjudiciable pour la mère comme pour le futur bébé.
Casablanca, le 06/01/2019
Dr MOUSSAYER KHADIJA الدكتورة خديجة موسيار
اختصاصية في الطب الباطني و أمراض الشيخوخة
Spécialiste en médecine interne et en Gériatrie
Présidente de l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS)
رئيسة الجمعية المغربية لأمراض المناعة الذاتية و والجهازية
Chairwoman of the Moroccan Autoimmune and Systemic Diseases Association
ANNEXES
I/ Les maladies auto-immunes : l’autodestruction de l’organisme
Lors d’une maladie auto-immune (MAI), le système immunitaire commet des erreurs et détruit certains des tissus de son organisme, les « considérant » comme étrangers.
Ce phénomène de dysfonctionnement de notre système immunitaire s’expliquerait par plusieurs causes qui s’associent comme les pièces d’un puzzle pour déclencher la pathologie : d’une part une prédisposition génétique et d’autre part surtout des facteurs environnementaux (pollution. bactéries virus, modes de vie…).
L’excès d’hygiène est également mis en avant. Les progrès en matière d’hygiène ont permis de mettre fin aux grandes épidémies d’autrefois qui décimaient les populations et en particulier de mieux protéger les bébés en mettant fin à la forte mortalité infantile des siècles précédents. Le problème est maintenant que la « propreté aseptisée » de l’espace autour d’un enfant empêche son système immunitaire d’apprendre à reconnaître les ennemis dont il doit se défendre normalement.
Les cellules immunitaires, par manque de maturité, sont en quelque sorte désorientées et s’attaquent par erreur à notre corps. Tandis qu’on assiste à la disparition progressive des infections classiques de la petite enfance, on observe à l’opposé un accroissement des maladies allergiques et auto-immunes comme l’asthme ou le diabète de type 1.
La solution serait de permettre aux bébés et aux jeunes enfants de se salir « un peu » pour mieux éduquer les défenses de leur organisme et mieux régir ensuite à leur environnement.
Une étude sino-danoise est venue conforter cette thèse en 2011 : elle a démontré que les bébés nés par voie basse et exposés aux premières bactéries au travers du rectum de la mère ont un risque beaucoup moins élevé de contracter des allergies que les bébés nés par césarienne et donc exposés à une variété restreintes de bactéries différentes.
La nature des attaques auto-immunes varie énormément selon la maladie. Le système immunitaire peut attaquer par exemple : 1/ une substance spécifique, la couche protectrice (myéline) des cellules nerveuses dans le cerveau, la moelle épinière et le nerf optique dans la sclérose en plaques ; 2/ des cellules et des tissus de la peau, des articulations, du cœur et des reins dans le lupus érythémateux disséminé.
Il existe deux catégories de maladies auto-immunes :
- celles qui sont limitées à un seul organe et appelées maladies auto-immunes « spécifiques d’organe» (comme la maladie de Basedow qui touche la thyroïde ou le diabète de type I qui touche le pancréas) ;
- celles au cours desquelles plusieurs organes sont touchés successivement ou simultanément, dites alors maladies auto-immunes « systémiques ». comme : le lupus érythémateux disséminé (atteintes préférentielles des articulations, de la peau, des reins, du système cardiovasculaire, des globules rouges mais aussi pratiquement de n’importe quel organe) ; la polyarthrite rhumatoïde (atteinte principalement articulaire, plus rarement pulmonaire et cutanée) ; le syndrome de Gougerot-Sjögren (atteintes des glandes salivaires et lacrymales occasionnant un syndrome sec et plus rarement des articulations, de la peau et des poumons) ; la spondylarthrite ankylosante (atteinte des articulations surtout de la colonne vertébrale, atteintes pulmonaire et neurologique possibles).
Parmi les maladies auto-immunes, un certain nombre sont des maladies rares et peu connues du grand public : le syndrome de Goodpasture, le pemphigus, l'anémie hémolytique auto-immune, le purpura thrombocytopénique auto-immun, la polymyosite et dermatomyosite, la sclérodermie, l'anémie de Biermer, la maladie de Gougerot-Sjögren, la glomérulonéphrite…
Beaucoup de ces affections ne sont pas curables. Les traitements sont destinés à ralentir ou à supprimer la réponse immunitaire pathologique et s’appuient sur : les corticoïdes par voie orale ou en bolus (injection intraveineuse d’une dose importante), les immunosuppresseurs : (cyclophosphamide, azathioprine, méthotrexate, Mycophénolate Mofétil), les échanges plasmatiques ainsi que les immunoglobulines et enfin les biothérapies.
Outre un médecin généraliste, la prise en charge de ces maladies est assurée par différents spécialistes en fonction des organes touchés (rhumatologue, gastroentérologue, cardiologue…) et / ou un spécialiste en médecine interne, encore appelé « interniste », une spécialité quelque peu méconnue en France comme au Maroc : il soigne notamment les patients qui présentent plusieurs organes malades, ou atteints simultanément de plusieurs maladies ; les maladies auto-immunes sont au cœur de ses compétences).
Au total, l’ensemble de ces pathologies constituent un grave problème de santé publique du fait de leur poids économique et humain : 3ème cause de morbidité dans le monde après les maladies cardiovasculaires et les cancers, elles touchent en effet environ 10 % de la population mondiale et occupent le troisième poste du budget de la santé dans les pays développés. Enfin, dernier point mais pas le moindre, ces maladies concernent les femmes dans près de 75 % des cas
1/ L’Association Marocaine des Maladies Auto-immunes et Systémiques (AMMAIS)
Les objectifs d’AMMAIS, créée en 2010 à la suite d’une rencontre avec un groupe de marocaines atteintes de la maladie de Gougerot, sont d’informer et de sensibiliser grand public et médias sur les maladies auto-immunes en tant que catégorie globale afin que le diagnostic soit plus précoce, d’aider à leur meilleure prise en charge et de promouvoir la recherche et les études sur elles.
Elle organise régulièrement des manifestations comme la « journée de l’auto-immunité », la rencontre annuelle sur le syndrome sec et la maladie de Gougerot-Sjögren… ou encore des rencontre clinico-biologique avec l’association marocaine de Biologie Médicale (AMBM).
Elle se donne par ailleurs pour but de contribuer à la création par les malades eux-mêmes d’associations spécifiques comme l’association marocaine des intolérants au gluten (AMIAG), l’association marocaine de la fièvre méditerranéenne familiale (AMFM), l’association marocaine des malades d’Angioedèmes (AMMAO)
Le Pr Loïc Guillevin en est le Président d’honneur : professeur de médecine interne, il a été notamment Membre du collège de la Haute Autorité de Santé – HAS - et président de sa commission de la transparence ainsi que membre du Comité de Pilotage du Plan National Maladies Rares en France.
On signalera enfin que, dès 2011, l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS) avait alerté l’opinion au Maroc sur les risques sous-évalués de la grossesse dans les maladies auto-immunes, lupus principalement, en organisant sa première manifestation scientifique, la journée de l’auto-immunité, sur le thème central de la grossesse.
Références bibliographique :
- Loïc Guillevin, (Pôle de médecine interne, Centre de référence Maladies auto-immunes et systémiques rares-Vascularites nécrosantes et sclérodermie systémique) Grossesse chez une femme ayant une maladie auto-immune : une prise en charge bien codifiée - La Presse Médicale Volume 37, n° 11 pages 1610-1611 (novembre 2008) Doi : 10.1016/j.lpm.2008.08.005
http://www.em-consulte.com/en/article/188055- Moussayer khadija - Grossesse et maladies auto-immunes : nécessité d’une prise en charge adéquate Doctinews 5 octobre 2011
https://www.doctinews.com/index.php/archives/54-actualite/actualite/991-grossesse-et-maladies-auto-immunes
- Première journée de l'auto-immunité : la femme au cœur des maladies auto-immunes (grossesse, fertilité et contraception, syndrome sec et maladie de Gougerot-Sjögren) 2011 Association Marocaine des maladies Auto-immunes et systémiques (AMMAIS)
http://docplayer.fr/23761217-1ere-journee-de-l-auto-immunite-la-femme-au-coeur-des-maladies-auto-immunes-programme.html
Articles de l’auteur sur les maladies auto-immunes :
Moussayer K .- Maladies auto-immunes : Quand le corps s’attaque à lui-même (Doctinews)
http://www.doctinews.com/index.php/dossier/item/551-maladies-auto-immunes
Moussayer K .- Syndrome sec et Gougerot-Sjögren : Entre un mal frequent et une maladie au coeur de l’auto-immunité (Doctinews
http://www.doctinews.com/index.php/dossier/item/560-syndrome-sec-et-gougerot-sj%C3%B6gren
Moussayer K .- Biothérapies : La révolution des traitements ciblés issus du vivant (Doctinews
http://www.doctinews.com/index.php/dossier/item/2461-bioth%C3%A9rapies
Moussayer K .- La barrière intestinale et ses pathologies : Du microbiote au leaky gut syndrome (Doctinews
http://www.doctinews.com/index.php/dossier/item/3445-la-barri%C3%A8re-intestinale-et-ses-pathologies