Définition des antibiotiques
En 1942, Waksman a défini les antibiotiques comme des substances chimiques, produites par des micro-organismes et capables, à faible concentration, d’inhiber la croissance d’autres micro-organismes ou même de les détruire. Cette définition classique, permettant de différencier les antibiotiques des substances de synthèse dotées d’un pouvoir antibactérien, ne semble plus justifiée car de nombreuses substances, autrefois obtenues à partir de culture, sont actuellement synthétisées ou modifiées par synthèse. En bactériologie médicale, on préfère donc retenir une définition plus large : les antibiotiques sont des composés chimiques, élaborés par un micro-organisme ou produit par synthèse et dont l’activité spécifique se manifeste à dose faible sur les micro-organismes.
Les antibiotiques utilisables en thérapeutique sont très nombreux et ils sont regroupés en famille selon leur structure chimique
Mécanismes d’action
Le mécanisme d’action des antibiotiques antibactériens n’est pas toujours parfaitement élucidé mais on distingue cinq grands modes d’action (voir figure 1) : action sur la synthèse du peptidoglycane, action sur la membrane cytoplasmique, action sur l’ADN, action sur la synthèse des protéines, action par inhibition compétitive.
figure 1
Antibiotiques interférant avec la biosynthèse du peptidoglycane
Les antibiotiques interférant avec la biosynthèse du peptidoglycane n'auront aucune action sur les bactéries naturellement dépourvues de paroi (taxons placés dans l'ordre des Mycoplasmatales), sur les protoplastes, les sphéroplastes et les formes L. La biosynthèse du peptidoglycane s’effectue en trois étapes (figure 2) :
figure 2
Étapes cytoplasmiques
Les étapes cytoplasmiques vont permettre la synthèse de la N-acétylglucosamine et de l’acide N-acétylmuramique lié à une unité pentapeptidique (et non à une unité tétrapeptidique comme c’est le cas dans le peptidoglycane final).
Cette synthèse s’effectue à partir de précurseurs par une série de réactions. Dans un premier temps on assiste à la formation de l'UDP-N- acétylglucosamine (UDP : nucléotide uridine diphosphate). Après addition du phosphoénolpyruvate (réaction catalysée par une pyruvyltransférase), l’UDP-N- acétylglucosamine est transformée en acide UDP-N-acétylmuramique. L’acide UDP-N-acétylmuramique prend ensuite sa forme pentapeptidique par addition successive des trois premiers acides aminés puis par addition d’un dipeptide D-alanyl-D-alanine. La formation de ce dipeptide nécessite une racémase (conversion de la L-alanine en D-alanine) et une D-alanyl-D-alanine synthétase.
Étapes membranaires
Les étapes membranaires correspondent au transport des précurseurs au travers de la membrane cytoplasmique. Ce passage nécessite un transporteur lipidique, l’undécaprénylphosphate. Le N-acétylmuramylpentapeptide est transféré de l’UDP au transporteur pour donner un complexe undécaprénylpyrophosphate-N-acétylmuramyl-pentapeptide puis, après transfert de la N-acétylglucosamine, il se forme un complexe undécaprénylpyrophosphate-N-acétylmuramyl-pentapeptide-N-acétylglucosamine. Après fixation éventuelle sur le troisième (ou sur le deuxième) acide aminé des ponts interpeptidiques, ce complexe est transloqué dans la paroi en cours de formation. Cette dernière étape libère le transporteur membranaire sous la forme d’undécaprénylpyrophosphate qui doit être déphosphorylé pour effectuer un nouveau transport.
Étapes pariétales
La troisième phase qui s’effectue en deux étapes correspond à l’incorporation des précurseurs dans la paroi en formation.
Dans une première étape, il y a formation de liaisons osidiques entre les fragments glucidiques, réactions catalysées par des transglycosylases.
Dans une deuxième étape, ces chaînes glycaniques néosynthétisées sont incorporées au peptidoglycane préexistant avec mise en place de la réticulation. Le dernier résidu D-alanine du complexe N-acétylmuramylpentapeptide est clivé par des D-alanine carboxypeptidases (ou DD-peptidases) et l’énergie ainsi libérée est utilisée par des transpeptidases pour fixer le dernier acide aminé d’un pont interpeptidique sur le quatrième acide aminé d’une chaîne tétrapeptidique.
D’autres enzymes sont présentes afin de permettre les remaniements de la paroi, en particulier lors de la division. Il s’agit, notamment des endopeptidases qui catalysent le clivage des ponts interpeptidiques impliqués dans la réticulation du peptidoglycane.
Chacune de ces étapes peut être inhibée par des antibiotiques.
Fosfomycine
La fosfomycine (ou phosphomycine) inhibe la conversion de l’UDP-N-acétylglucosamine en acide UDP-N-acétylmuramique en se liant par une liaison covalente à un résidu cystéine de la pyruvyltransférase. Son spectre d’action est large, mais pour pouvoir pénétrer dans le cytoplasme la fosfomycine doit franchir la membrane cytoplasmique en empruntant deux systèmes de transport : celui des L-a-glycérophosphates et celui des hexoses-phosphates. Ce dernier système de transport est inductible par le glucose-6 P et, pour la détermination in vitro de la sensibilité à la fosfomycine, il convient d’utiliser un milieu contenant du glucose-6 P.
Cyclosérine
La cyclosérine qui présente une analogie de structure avec la D-alanine inhibe la racémase transformant la L-alanine en D-alanine et la D-alanyl-D-alanine synthétase. Sous l’action de cet antibiotique toxique, peu ou pas utilisé en thérapeutique (sauf dans le traitement de certaines formes de tuberculose), il se produit une accumulation d’UDP-N-acétylmuramyltripeptide.
Bacitracine
La bacitracine, active uniquement sur les bactéries à Gram positif (la membrane externe des bactéries à Gram négatif est imperméable à cette molécule), forme un complexe irréversible avec l’undécaprénylpyrophosphate et inhibe sa déphosphorylation. Cette fixation sur le lipide transporteur qui est un constituant de la membrane cytoplasmique pourrait être à l’origine de lésions membranaires. La toxicité de la bacitracine interdit son utilisation par voie générale.
Glycopeptides
Les glycopetides (vancomycine, ristocétine et teicoplanine) ont une affinité pour les précurseurs du peptidoglycane comportant le dipeptide D-alanyl-D-alanine. Les cibles potentielles sont donc soit intracytoplasmiques soit situées au niveau de la paroi en formation. Ces cibles ne sont pas toutes atteintes car elle ne sont pas toutes accessibles aux glycopeptides.
Aucune cible n’est atteinte chez les bactéries à Gram négatif car ces antibiotiques ne peuvent pas traverser la membrane externe. Ceci explique que les glycopeptides ont un spectre étroit limité aux bactéries à Gram positif (principalement streptocoques, entérocoques et staphylocoques).
Chez les bactéries à Gram positif, ces antibiotiques diffusent librement à travers les mailles du peptidoglycane. En revanche, ils ne peuvent traverser la membrane cytoplasmique et leur action s'exerce sur la paroi en formation. Grâce à des liaisons hydogènes, les glycopeptides forment un complexe avec les dipeptides D-alanyl-D-alanine présents dans la paroi en formation. Les glycopeptides sont des molécules peu flexibles et leur conformation en forme de poche permet une interaction avec les groupements cibles selon un modèle "clé-serrure". Du fait de l’encombrement stérique induit par la présence de ces grosses molécules, il y a inhibition des transglycosylases et des transpeptidases. L’élongation de la paroi et la croissance bactérienne sont inhibées (effet bactériostatique), puis d’autres mécanismes doivent intervenir car les glycopeptides ont un effet bactéricide lent.
Bêta-lactamines
Les bêta-lactamines inhibent la dernière étape de la synthèse du peptidoglycane par analogie structurale avec le dipeptide D-alanyl-D-alanine.
Les cibles des bêta-lactamines sont des protéines présentes sur la face externe de la membrane cytoplasmiques et dénommées PLP pour Protéines Liant la Pénicilline (ou PBP pour Penicillin Binding Protein). Le nombre et la nature des PLP varient selon les espèces bactériennes et elles sont numérotées en fonction de leurs masses moléculaires décroissantes : PLP 1, PLP 2, ... (une même numérotation peut donc correspondre à des PLP différentes selon les espèces). Chez Escherichia coli on distingue sept PLP : 1A, 1B, 2, 3, 4, 5 et 6 ; quatre sont connues chez Staphylococcus aureus, cinq chez Streptococcus pneumoniae et Enterococcus faecalis.
Les fonctions de ces PLP sont différentes.
. Les PLP 1A, 1B, 2 et 3 de Escherichia coli ont une activité transpeptidasique avec toutefois des différences d’activité. Ainsi, l’inhibition des PLP 1A et 1B provoque la lyse des bactéries, l’inhibition de la PLP 2 provoque la formation de bactéries ovoïdes et celle de la PLP 3 l’apparition de formes filamenteuses non cloisonnées. Les PLP 1A, 1B et 3 ont aussi une activité transglycosylase non inhibée par les bêta-lactamines.
. Les PLP 4, 5 et 6 de Escherichia coli sont moins importantes, elles ont une activité D-alanine-carboxypeptidase et le blocage de ces PLP par les bêta-lactamines n’entraîne pas de modifications morphologiques des bactéries.
Selon les concentrations, la durée d’action et la nature des bêta-lactamines, les PLP ont des affinités différentes pour ces molécules ce qui explique les différences d’action observées entre les diverses bêta-lactamines. Ainsi, la pénicilline G se fixe principalement sur les PLP 1A, 1B, 2, 3 et, dans une moindre mesure 4 ; l’ampicilline sur les PLP 2 et 3 ; l’amoxicilline sur les PLP 1A et 3 ; toutes les céphalosporines se fixent sur la PLP 1A et certaines céphalosporines (céfalotine, cefuroxime, céfamandole, céfotaxime, ceftazidime) se fixent sur la PLP 3.
Les bêta-lactamines ont généralement un effet bactéricide mais celui-ci n’est pas dû à la seule fragilisation du peptidoglycane. Deux modèles principaux ont été proposés pour expliquer l’effet bactéricide :
. Chez Streptococcus pneumoniae, on a montré que les bêta-lactamines semblent activer des enzymes autolytiques (des muréine-hydrolases) par un mode d’action non élucidé. Les muréines-hydrolases sont nécessaires aux remaniements du peptidoglycane rendus obligatoire par la croissance et la division bactérienne.
. Dans un autre modèle proposé, il n’y aurait pas activation des muréine-hydrolases mais leur fonctionnement normal suffirait à expliquer la lyse bactérienne car il se surajoute à une inhibition de synthèse du peptidoglycane.
Ces différents modes d’action expliquent que les bêta-lactamines ne sont actives que sur les bactéries en croissance qui synthétisent du peptidoglycane.
Pour atteindre les PLP, les bêta-lactamines doivent traverser la paroi. La diffusion de ces molécules au travers de la paroi des bactéries à Gram positif est aisée, par contre, chez les bactéries à Gram négatif, la membrane externe empêche la diffusion de nombreuses molécules. Les bêta-lactamines actives sur les bactéries à Gram négatif (pénicillines à large spectre à large spectre et céphalosporines) empruntent la voie des porines et leur passage est fonction de leur taille et de leur charge, mais aussi d’autres facteurs, tel que la nature du LPS qui pourraity expliquer la résistance de Pseudomonas aeruginosa à de nombreuses bêta-lactamines.
la suite
Antibiotiques actifs sur les membranes
Les polymyxines, polymyxine B et polymyxine E (ou colistine), sont constituées d’un polypeptide cyclique et d’un acide gras. Par leur extrémité hydrophobe, ces antibiotiques pénètrent à l’intérieur de la membrane et s’incorporent à la couche lipidique alors que l’extrémité hydrophile reste orientée vers l’extérieur. Il en résulte une désorganisation de la structure membranaire ce qui provoque la mort de la cellule.
Les polymyxines actives sur les bactéries à Gram négatif, agissent tout d’abord sur la membrane externe entraînant des modifications morphologiques comme la formation de vésicules puis, la membrane cytoplasmique est atteinte ce qui provoque la fuite de substances intracellulaires et la mort des bactéries.
En raison de la similitude entre les membranes des cellules bactériennes et des cellules eucaryotes, les antibiotiques actifs sur la membrane sont toxiques et seul un nombre restreint de molécules a trouvé une utilisation thérapeutique.
Antibiotiques actifs sur l’ADN
La réplication ou la transcription de l’ADN constituent une cible d’action pour des antibiotiques dont certains, comme les quinolones, sont largement utilisés en clinique.
Inhibition de la réplication
les quinolones
Les quinolones sont des agents antibactériens de synthèse et, au sein de ce groupe, on distingue les quinolones de première génération actives principalement sur les bacilles à Gram négatif (et utilisées, chez l’homme, uniquement dans le traitement des infections urinaires) et les quinolones de deuxième génération ou 6-fluoroquinolones caractérisées par un spectre plus large et par une pharmacocinétique autorisant leur utilisation dans d’autres indications que les infections urinaires. Les quinolones entraînent une inhibition rapide de la synthèse de l’ADN par action sur des topo-isomérases bactériennes. En revanche, les quinolones sont inactives sur les topo-isomérases des cellules eucaryotes.
Les quinolones de deuxième génération ont un effet bactéricide dont le mécanisme n’a pas reçu d’explications convaincantes.
Ces molécules traversent la paroi des bactéries à Gram négatif grâce aux porines (chez les bactéries à Gram positif, la paroi n’est pas un obstacle), elles pénètrent dans le cytoplasme par diffusion passive et elles vont agir sur l’ADN gyrase (ou topo-isomérase II) et sur la topo-isomérase IV.
L’ADN gyrase est formée de deux sous-unités A (codées par le gène gyrA) et de deux sous-unités B (codées par le gène gyrB). Le site catalytique de l’ADN gyrase est centré sur la tyrosine en position 122 de la sous-unité A. La sous-unité B comprend un site d’hydrolyse de l’ATP fournissant l’énergie nécessaire à l’activité enzymatique. Le fait que des modifications de la sous-unité B puissent entraîner une résistance aux quinolones suggère que la sous-unité B participe également au site catalytique ou influe sur la sur la structure tertiaire de la sous-unité A. L’ADN gyrase fait partie du groupe des topo-isomérases, enzymes qui modifient la topologie de l’ADN. Au moment de la réplication de l’ADN et de la séparation des brins, la création de forces de tension bloque la progression de la fourche de réplication. L’ADN-gyrase produit une série de coupures et de ligations des brins d’ADN ce qui permet le relâchement de la molécule puis son enroulement. Au moment de la coupure, l’ADN et la gyrase sont transitoirement liés de manière covalente.
Les quinolones agissent sur ce complexe transitoire en formant un complexe irréversible ADN-gyrase-quinolone. La soudure des brins est spécifiquement inhibée par les quinolones et l’ADN bactérien se trouve sous forme de fragments.
Les quinolones sont également capables d’inhiber une autre topo-isomérase, l’ADN topo-isomérase IV qui présente des analogies structurales avec l’ADN gyrase (2 sous-unités ParC et 2 sous-unité ParE avec la même répartition fonctionnelle entre ces sous-unités et celles de la gyrase). L’action des quinolones sur la topo-isomérase IV n’est pas négligeable car une mutation du gène parC entraîne une résistance. Cette enzyme intervient dans la séparation des copies d’ADN circulaires double brin présentes après la réplication du chromosome ou des plasmides.
Cette inhibition de la réplication déclenche un système de réparation, le système SOS, qui semble avoir un effet protecteur (des mutants dépourvus de systèmes SOS fonctionnels sont plus rapidement tués par les quinolones).
Les quinolones inhibent aussi la réplication des plasmides à des concentrations parfois non bactéricides et, à forte dose, l’action des quinolones inhibe également la transcription.
La novobiocine
La novobiocine, antibiotique bactériostatique, actif principalement sur les bactéries à Gram positif, inhibe la réplication de l’ADN en empêchant la fixation d’ATP sur la sous-unité B de l’ADN-gyrase.
Imidazolés
Les imidazolés sont des molécules dont l’action nécessite une réduction partielle de leur groupement NO2 que seules les bactéries anaérobies sont capables de réaliser (il existe cependant deux exceptions à cette règle puisque les imidazolés sont actifs sur Helicobacter pylori et Gardnerella vaginalis qui sont des bactéries micro-aérophiles). Les dérivés réduits sont les produits biologiquement actifs qui se fixent sur l’ADN, notamment au niveau des régions riches en adénine et thymine, et qui provoquent une oxydation suivie d’une coupure des brins et d’un déroulement de l’ADN. Ces lésions de l’ADN sont suivies de la mort de la bactérie.
Chez les bactéries micro-aérophiles, le mode d’action semble différent (production de radicaux libres toxiques pour l’ADN ?).
Nitrofuranes
Les nitrofuranes, produits de synthèse réservés aux traitements des infections intestinales (furazolidone, nifuroxazide) ou urinaires (nitrofurantoïne, hydroxyméthylnitrofurantoïne), semblent avoir pour cible l’ADN. Comme pour les imidazolés, leur activité nécessite une réduction de leur groupement NO2 mais cette réduction est réalisée par les nitroréductases des bactéries aérobies. Les dérivés réduits provoquent des coupures et des mutations dans l’ADN et leur effet est bactériostatique ou bactéricide selon la dose.
Inhibition de la transcription
Les rifamycines se fixent sur la sous-unité b de l’ARN polymérase et empêchent l’initiation de la synthèse des ARNm. Elles ne se fixent pas sur l’ARN polymérase déjà liée à l’ADN et n’ont donc pas d’action sur la phase d’élongation de la transcription. L'absence d'activité des rifamycines sur les ARN polymérases des cellules eucaryotes explique sa toxicité sélective pour les bactéries.
Deux rifamycines sont utilisées, la rifamycine SV qui n’est active que sur les bactéries à Gram positif et sur les coques à Gram négatif et la rifampicine. Cette dernière molécule a un spectre plus large, étendu à certains bacilles à Gram négatif (Brucella, Legionella, Bacteroides, ...). Son principal intérêt réside dans son activité sur les mycobactéries dont les bacilles tuberculeux. Elle pénètre bien dans les cellules eucaryotes et elle est active sur les bactéries intracellulaires.
Les rifamycines sont douées d’une action bactéricide s’exerçant même sur les bactéries au repos. Cet effet serait lié à l’oxydation in vivo du site quinone de la molécule ce qui formerait des ions superoxydes et secondairement des radicaux libres toxiques pour l’ADN bactérien.
Antibiotiques inhibiteurs de la synthèse des protéines
La traduction des ARNm en protéines s’effectue au niveau des ribosomes et peut se décomposer en trois phases : initiation, élongation, terminaison (figure 3).
figure 3
. Au cours de la phase d’initiation, la sous-unité 30S du ribosome et un complexe formyl-méthionine-ARNt se fixe au site d’initiation AUG d’une molécule d’ARNm. Trois protéines, les facteurs d’initiation, sont nécessaires au bon déroulement de cette phase. Ultérieurement, la sous-unité 50S se lie à ce complexe d’initiation pour former le ribosome 70S.
. Au cours de la phase d’élongation, les acides aminés constituant le peptide vont s’incorporer de manière séquentielle. Cette phase peut être décomposée en trois stades : reconnaissance, transfert peptidique et translocation. Dans l’étape de reconnaissance, une molécule d’acide-aminé-ARNt se fixe sur le site A (aminoacyl ou accepteur) du ribosome. Puis vient l’étape de transfert du peptide en formation du site P (peptidyl) au site A et liaison peptidique à l’acide aminé du site A : la chaîne peptidique s’allonge donc d’un acide-aminé. L’étape de translocation a pour but de ramener le peptide au site P. Cette phase d’élongation fait intervenir trois protéines appelées facteurs d’élongation.
. L’incorporation des acides aminés se répète jusqu’à ce qu’un codon de terminaison soit reconnu sur l’ARNm. Grâce à l’action de trois protéines accessoires, vont intervenir la libération du peptide, la séparation du ribosome et de l’ARNm et la dissociation du ribosome en ses deux sous-unités.
Plusieurs familles d’antibiotiques inhibent la synthèse des protéines en agissant préférentiellement soit sur la sous-unité 30S soit sur la sous-unité 50S des ribosomes.
Aminosides
Les aminosides ou aminoglycosides ou aminosides-aminocyclitols sont des antibiotiques à large spectre (à l’exception des bactéries anaérobies, des streptocoques et des entérocoques) et généralement bactéricides.
Le franchissement de la membrane externe se fait par les porines et le franchissement de la membrane cytoplasmique est un phénomène actif nécessitant un système transporteur d’électrons et de l’oxygène comme accepteur final. Les bactéries anaérobies (ainsi que les streptocoques et les entérocoques qui sont en fait des bactéries anaérobies aérotolérantes) sont naturellement résistantes car elles sont dépourvues de ce système. Le mode d’action des aminosides a été bien étudié avec la streptomycine. La streptomycine se fixe sur une région de la sous-unité 30S dont la configuration est due à plusieurs protéines (S12 mais aussi S4 et S5). Cette fixation provoque des erreurs de reconnaissance codons - anticodons et l’incorporation d’acides aminés erronés dans la chaîne peptidique en formation. D’autre part, la streptomycine empêche la fixation du facteur F3 qui, en fin de synthèse, provoque la dissociation du ribosome en ses deux sous-unités. De ce fait, les ribosomes sont "gelés" et incapables de s’unir à de nouveaux ARNm. L’action de la streptomycine se déroulerait en trois phases. Dans un premier temps, la pénétration d’une faible quantité d’antibiotiques dans la cellule serait à l’origine d’erreurs de lecture peu nombreuses. Ces erreurs de lecture concernant des protéines membranaires, il s’en suivrait, dans un deuxième temps, une pénétration importante de l’antibiotique (les concentrations à l’intérieur de la bactérie sont environ 100 fois plus importantes que celles du milieu extérieur). Cette concentration importante serait à l’origine d’un gel irréversible des ribosomes inhibant toute synthèse protéique ultérieure. L’effet bactéricide des aminosides semble, en grande partie, être liée aux modifications structurales de la membrane cytoplasmique.
Les autres aminosides ont des actions similaires à la streptomycine mais ils agissent de plus sur d’autres stades de la traduction et ils se fixent à la fois sur la sous-unité 30S et 50S du ribosome.
Tétracyclines
Les tétracyclines sont des antibiotiques bactériostatiques à large spectre comprenant les bactéries intracellulaires et les mycoplasmes. Chez les bactéries à Gram négatif, la traversée de la membrane externe se fait par les porines ou directement à travers la couche phospholipidique (doxycyclines, minocyclines). Le franchissement de la membrane cytoplasmique se fait par diffusion passive mais aussi grâce à un ou à des systèmes de transport actif permettant l’accumulation dans les bactéries.
Les tétracyclines sont actives sur les bactéries intracellulaires et leur absence de toxicité pour les cellules eucaryotes (dont les ribosomes sont pourtant sensibles) serait liée à une concentration intracytoplasmique faible alors que l’accumulation intrabactérienne est importante grâce au transport actif à travers la membrane cytoplasmique (les faibles quantité de tétracyclines qui pénètrent dans le cytoplasme des cellules eucaryotes sont rapidement concentrées dans le cytoplasme bactérien des bactéries intracellulaires).
Les tétracyclines se fixent sur les ribosomes au niveau du site A par liaison avec les protéines de la sous-unité 30S. Cette fixation inhibe celle de l’aminoacyl-ARNt et bloque l’étape de reconnaissance de la phase d’élongation de la chaîne peptidique.
Macrolides et apparentés
Les macrolides, lincosamides, pleuromutulines, streptogramines sont apparentés par leur spectre d’activité, leur mécanisme d’action et les mécanismes de résistance.
Les MLS ont un spectre concernant les coques, les bacilles à Gram positif et certains bacilles à Gram négatif (Legionella, Pasteurella, Campylobacter, Bacteroides, ...). Par contre, les Haemophilus sont peu sensibles et les entérobactéries et Pseudomonas aeruginosa sont naturellement résistants. Cette insensibilité de la plupart des bacilles à Gram négatif est due à une absence de pénétration.
Les macrolides se fixent sur la sous-unité 50S, notamment au niveau de l’ARN ribosomal 23S, au voisinage du site P. Le mécanisme exact de leur action est mal connu : inhibition de l’élongation du peptide en cours de synthèse par blocage des étapes de transfert peptidique ou de translocation ? fragilisation de la liaison peptidyl-ARNt-ribosome, d’où une dissociation prématurée de ce complexe au cours de la translocation ?
La fixation des macrolides sur la sous-unité 50S empêche l’action du chloramphénicol.
Les lincosamides semblent surtout inhiber la formation des liaisons peptidiques. Leur site de fixation sur la sous-unité 50S semble identique à celui des macrolides et elles sont capables de déplacer ces derniers.
Comme lesmacrolides et les lincosamides, les pleuromutilines inhibent la synthèse protéique en se liant à l’ARN ribosomal 23S de la sous-unité 50S du ribosome. Elles empêchent l’allongement de la chaîne peptidique en agissant sur la transpeptidation.
Les pleuromutilines n’entrent pas en compétition avec les macrolides et les lincosamides pour le site de liaison à l’ARNr 23S.
Les streptogramines ou synergistines sont formées de deux composants macrocycliques A et B agissant en synergie. Chacun des composés des streptogramines, pris isolément, entraîne une bactériostase par blocage réversible de la synthèse protéique. Le mélange des deux composants inhibe la croissance à des concentrations plus faibles et entraîne une bactéricidie par blocage irréversible des synthèses protéiques.
Phénicolés
Le chloramphénicol, le thiamphénicol et le florphénicol se fixent préférentiellement sur le site A au niveau de la sous-unité 50S. Le mécanisme d’action des phénicolés demeure imprécis mais il est probable qu’ils inhibent la formation de liaison peptidique et bloque l’élongation de la chaîne.
Le chloramphénicol peut interférer avec la synthèse des protéines dans les mitochondries ce qui pourrait expliquer certains de ses effets toxiques hématologiques.
Acide fusidique
L’acide fusidique est un antibiotique de nature stérolique et hydrophobe et donc actif uniquement sur les bactéries à Gram positif, notamment sur les staphylocoques. Il intervient au cours de la translocation et inhibe la phase d’élongation des synthèses peptidiques. Cette action semble liée à une stabilisation par l’acide fusidique d’un complexe ribosome-facteur d’élongation, complexe qui doit normalement se dissocier après la translocation du peptide.
Antibiotiques agissant par inhibition compétitive
L’acide tétrahydrofolique intervient dans de nombreuses voies métaboliques et notamment dans la synthèse des purines et des pyrimidines. Chez les bactéries, sa synthèse se fait en trois étapes dont la première nécessite de l’acide para-aminobenzoïque ou PAB (figure 4). La synthèse de l’acide tétrahydrofolique est inhibée par les sulfamides, le triméthoprime et l’acide para-aminosalicylique.
figure 4
Sulfamides
Les sulfamides sont bactériostatiques et ont un spectre large (ils sont cependant inactifs sur Enterococcus faecalis, les lactobacilles et les mycobactéries et peu actifs sur Pseudomonas aeruginosa).
Leur mode d’action est lié à une inhibition de la dihydroptéroate synthétase en raison d’une analogie structurale avec le PAB. L’action des sulfamides est réversible et s’annule en présence d’un excès de PAB ou de certains métabolites terminaux dont la thymidine.
Triméthoprime
Les 2-4-diaminopyrimidines comme le triméthoprime sont des analogues stériques du noyau ptéridine de l’acide dihydrofolique et ils inhibent l’action de la dihydrofolate réductase.
Leur activité est généralement bactériostatique mais certaines bactéries sont naturellement résistantes (Pseudomonas, Acinetobacter, Neisseria, Moraxella, Brucella, Campylobacter, Nocardia, Actinomyces, Bacteroides, Clostridium, Enterococcus faecalis, Treponema, Mycobacterium).
L’association sulfamide et 2-4-diaminopyrimidine est souvent synergique et bactéricide si la souche est sensible aux deux molécules.
Acide para-aminosalicylique
L’acide para-aminosalicylique (PAS) a également une structure analogue au PAB et son mécanisme d’action est comparable à celui des sulfamides. Toutefois, cette molécule est active sur les mycobactéries et inactive chez les autres bactéries. Les enzymes responsables de la synthèse de l’acide folique diffèrent donc chez les mycobactéries
Intensité de l’action antibactérienne des antibiotiques
Selon leur nature et leur concentration, les antibiotiques agissent selon deux modalités différentes, la bactériostase et la bactéricidie (figure 5).
figure 5
La mise en évidence de ces effets consiste à placer dans une série de tubes un même inoculum bactérien (par exemple 106 bactéries par ml) et des concentrations croissantes en antibiotique (a, b, c, d). À des intervalles de temps réguliers, le nombre de germes présent dans chaque tube est déterminé par étalement sur gélose (ne contenant pas d’antibiotique) d’une quantité connue de milieu. Après incubation, chaque bactérie donnera naissance à une colonie ce qui permet d’apprécier le nombre de bactéries viables contenues dans chaque échantillon.
Une croissance comparable à celle d’une culture témoin est observée pour de faibles quantités d’antibiotiques (courbe a).
Aux concentrations supérieures (courbes b et c), la culture présente un allongement du temps de latence et un taux de croissance de plus en plus ralenti mais, à tout moment, le nombre de bactéries viables est supérieur ou égal au nombre de bactéries ensemencées. Ces concentrations en antibiotique sont dites bactériostatiques et la bactériostase se définit comme une atteinte de la croissance bactérienne telle que le nombre de bactéries formées est inférieur à celui de la croissance sans antibiotique mais supérieur ou égal au nombre de bactéries ensemencées. L’effet bactériostatique résulte soit d’une diminution du nombre de divisions des bactéries sans altération de leur vitalité soit d’un équilibre entre la croissance et la mort des bactéries.
Pour des concentrations plus importantes en antibiotique (courbe d) on constate un abaissement du nombre de germes vivants et l’effet de l’antibiotique devient bactéricide. La bactéricidie est une destruction des bactéries sous l’effet de l’antibiotique. Les bactéries demeurées vivantes dans les tubes où on observe une bactéricidie partielle, ne sont pas, pour la plupart, des bactéries résistantes, ce sont des bactéries qui ont échappé provisoirement à l’action de l’antibiotique par le simple fait du hasard. Ces bactéries sont appelées des survivantes et, repiquées sur un milieu sans antibiotique, elles donnent naissance à une population identique à la population initiale. Cet effet bactéricide augmente plus ou moins rapidement en fonction de la concentration en antibiotique et en fonction du temps de contact. En utilisant des doses très élevées, pratiquement tout antibiotique peut être bactéricide.
Le plus souvent, un simple effet bactériostatique est suffisant en thérapeutique. En limitant la prolifération bactérienne, l’antibiotique permet aux défenses de l’organisme d’intervenir sans être dépassées. Par contre, lors d’infections sévères (septicémies) ou lors d’infections chroniques ou lors d’infections survenant sur des terrains fragilisés, un effet bactéricide est souhaitable.
Compte tenu de la pharmacocinétique et des effets toxiques des antibiotiques (aux posologies recommandées) certains antibiotiques sont in vivo bactériostatiques et d’autres bactéricides. Les principaux antibiotiques réputés bactériostatiques sont les tétracyclines, le chloramphénicol, les macrolides, les lincosamides et les streptogramines. Les principaux antibiotiques réputés bactéricides sont les bêta-lactamines, les aminosides, les polymyxines et les fluoroquinolones.
L’analyse des cinétiques de bactéricidie permet de distinguer deux types d’antibiotiques bactéricides :
. Pour certains antibiotiques, l’augmentation des concentrations accroît de manière importante la vitesse de bactéricidie mais, en revanche, la durée d’exposition du germe, du moins à forte concentration, semble avoir peu d’importance. Ces antibiotiques sont qualifiés de concentration-dépendants ou de dose-dépendants.
. Pour d’autres antibiotiques, la vitesse de bactéricidie atteint rapidement un maximum à partir d’une certaine concentration et l’augmentation des concentrations n’accélère pas la vitesse de bactéricidie. Le facteur essentiel semble être le temps de contact et on parle d’antibiotiques temps-dépendants.
Cet effet, concentration-dépendant ou temps-dépendant, dépend de l’antibiotique mais aussi des bactéries. Ainsi, la fluméquine serait un antibiotique concentration-dépendant vis-à-vis des bactéries à Gram négatif et un antibiotique temps-dépendant vis-à-vis des bactéries à Gram positif.
D’une manière générale, on estime cependant que les aminosides sont des molécules concentration-dépendantes et les bêta-lactamines des molécules temps-dépendantes.
Ces notions ont des conséquences sur le rythme d’administration des antibiotiques. Pour un antibiotique concentration-dépendant il est préférable d’administrer une dose la plus élevée possible avec une fréquence d’administration réduite afin de diminuer les risques toxiques. Inversement avec un antibiotique temps-dépendant il est nécessaire d’obtenir une concentration plasmatique toujours supérieure à la CMI (Concentration Minimale Inhibitrice) ; il faut administrer l’antibiotique dès que la concentration plasmatique s’abaisse ou utiliser des formes galéniques permettant une action prolongée.
Effets sub-inhibiteurs et post-antibiotiques
En dessous de la concentration minimale inhibitrice, un antibiotique peut altérer la morphologie (bactéries géantes, bactéries globuleuses, ...), la structure (perte de plasmides, perte d’adhésines, ...) ou la croissance (ralentissement de la croissance avec réduction de la taille des colonies ou impossibilité de cultiver la bactérie in vitro sur des milieux usuels). Ces effets sub-inhibiteurs contribuent à l’action antibactérienne soit en modifiant le pouvoir pathogène des bactéries soit en les rendant plus sensibles aux défenses immunitaires.
L’effet post-antibiotique est bien connu pour les macrolides et dans une moindre mesure pour les aminosides et pour la pénicilline G (vis-à-vis des staphylocoques). Il se traduit par un effet bactériostatique qui se maintient après la disparition complète de l’antibiotique du milieu environnant. Il pourrait résulter de la persistance de l’antibiotique sur certains sites d’action.
Facteurs bactériens influençant l’activité des antibiotiques in vivo
In vivo, l’activité d’un antibiotique dépend de nombreux facteurs : pénétration au niveau du foyer infectieux, pénétration dans les cellules, résorption, liaisons à des protéines, transformation in vivo, élimination, ... auxquels se surajoutent des facteurs propres aux bactéries.
L’état des bactéries peut être à l’origine d’anomalies dans l’action des antibiotiques et peut être responsable d’échecs de traitements antibiotiques théoriquement bien adaptés.
Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer une "indifférence des bactéries aux antibiotiques" :
. In vivo, et notamment lors d’endocardites ou d’infections sur du matériel étranger (prothèses, cathéters), les bactéries se trouvent sous forme de microcolonies et sont moins sensibles qu’à l’état dispersé (les tests in vitro de sensibilité aux antibiotiques sont réalisés sur des bactéries dispersées).
. Un effet du hasard qui a pour conséquence que des bactéries normales échappent à l’action des antibiotiques.
. L’état physiologique des bactéries dans un foyer infectieux peut être particulier et les bactéries peuvent avoir une multiplication entravée par l’environnement (insuffisance nutritionnelle, influence des mécanismes de défense, accumulation de substances toxiques). Ces bactéries au repos qui ne se multiplient pas ou peu, sont insensibles aux bêta-lactamines.
. Les bactéries aéro-anaérobies facultatives sont moins sensibles aux aminosides lorqu’elles sont placées dans un environnement anaérobie.
. Apparition de mutants présentant des lésions anatomiques tels que les formes L qui sont des bactéries dépourvues de paroi et insensibles aux antibiotiques agissant sur la synthèse du peptidoglycane ou tels que des mutants respiratoires de staphylocoques résistants aux aminosides.
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