Thromboses après vaccin AstraZeneca, la clé de l’énigme ?
La lutte contre la pandémie de Covid-19 liée au virus SARS-CoV-2 repose actuellement de façon prépondérante sur la vaccination à grande échelle. De décembre 2020 à mars 2021, quatre vaccins ont été autorisés par l'agence européenne sur la base des résultats issus d'essais prospectifs contrôlés réalisés en double aveugle: deux vaccins dits à ARN : -le BNT162b2 (Pfizer–BioNTech) et le mRNA-1273 (Moderna) - où l'ARN codant pour la protéine spike du virus SARS-CoV-2, encapsulé dans des nanoparticules lipidiques, est injecté, et deux vaccins où le génome codant pour la protéine spike du virus SARS-CoV-2 est inséré au génome d' un vecteur viral : un adénovirus recombinant du chimpanzé dans le cas du vaccin ChAdOx1 nCov-19 (AstraZeneca ) et un adénovirus recombinant de type 26 dans le cas du vaccin Ad26.COV2.S (Johnson & Johnson/Janssen).
Au 7 avril 2021, plus de 82 millions de personnes ont été vaccinées en Europe (1 ou 2 doses de vaccin) ; ainsi, en Allemagne, plus de 10 millions de personnes ont eu au moins une dose. Un quart de ces personnes environ a reçu le vaccin ChAdOx1 nCov-19 (AstraZeneca). En février plusieurs cas de thrombose après ce vaccin ont été rapportés.
Une première série de onze patients en Allemagne
En Allemagne, le premier cas observé mi-février 2021 a concerné une soignante de 49 ans sans antécédents particuliers ayant succombé à un « syndrome thrombotique » survenu dès 5 jours après l'administration du vaccin ChAdOx1 nCov-19 et qui s’est aggravé malgré le traitement anticoagulant, tableau constitué de thromboses extensives des vaisseaux splanchniques et même de microthromboses de l'aorte et des artères iliaques et d'une thrombose veineuse cérébrale (confirmées par les examens complémentaires et les données autopsiques). Plusieurs autres cas ont été observés et mi-mars 2021 dix autres cas étaient répertoriés. Le dernier cas inclus s'est révélé par un tableau d'hémorragie cérébrale à l’origine de laquelle une thrombose veineuse a été retenue, hypothèse dont la confirmation était en attente au moment de la publication de l'article.
Les caractéristiques sémiologiques des événements thrombotiques constatés dans cette première série de 11 patients (en incluant le cas princeps) sont donc les suivantes : le début survient de 5 j à 16 j après l'administration du vaccin ChAdOx1 nCov-19 ; il s'agit de thromboses veineuses cérébrales dans 9 cas, des veines splanchniques dans 3 cas, d'embolies pulmonaires dans 3 cas et de thromboses affectant d'autres territoires dans 4 cas. Sur 10 patients, 5 présentaient plus d'une thrombose. Une évolution fatale a été constatée dans 6 cas sur 10 répertoriés. Ainsi devant la gravité de ces événements thrombotiques de sémiologie atypique, la recherche du mécanisme physiopathologique s'imposait rapidement. Les résultats font l'objet de cet article.
Le tableau clinique évoque celui des thrombopénies induites par l’héparine
Dans cette série de patients, l’âge médian est de 36 ans (22-49 ans) et on note une prédominance féminine : 9 femmes pour 2 hommes. Il existait constamment une thrombopénie avec un nadir médian à 20 000 /μL environ (9000-103 000 /μL). Aucun patient n'avait reçu d'héparine préalablement. Le tableau clinique évoquait celui des thrombopénies induites par l'héparine où le développement d'anticorps anti PF4 -héparine induit l'activation des plaquettes et la survenue de thromboses. Le PF4 ou Facteur 4 plaquettaire est une glycoprotéine contenue dans les granules alpha des plaquettes, libérée à la surface de celles-ci lors de leur activation, présentant une grande affinité pour les glycosaminoglycans des membranes cellulaires et en particulier pour l'héparine. Dès lors les auteurs de l'article (experts internationaux pour certains dans ce domaine) ont recherché chez ces patients ces anticorps anti-PF4-héparine et anti PF4 par ELISA. Ils ont aussi développé un test d'activation plaquettaire in vitro PFA-dépendante où est mesuré le délai d'apparition de l'agrégation plaquettaire induite par le PF4, délai inversement proportionnel à l'intensité de l'activation plaquettaire.
Les résultats montrent une thrombopénie constante souvent sévère inférieure à 30 000/μL dans 7 cas /10 et associée à une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) dans 5 cas diagnostiquée devant une forte augmentation des D-dimères, une altération des tests d'hémostase et une hypofibrinogénémie à des degrés divers. Hormis chez 1 patient ayant une anomalie V Leiden et des anticorps anticardiopides, il n'était pas mentionné d'anomalies prothrombotiques pré-existantes chez ces patients. Les tests ELISA anti-PF4 -héparine effectués chez 9 patients (dont le patient 11) étaient tous fortement positifs associés à un test d'activation plaquettaire positif d’intensité variable. Aucun des sujets contrôles n'avait de test d'activation plaquettaire positif. Les tests d'activation plaquettaire étaient négativés in vitro par de fortes doses d'héparine mais aussi de façon intéressante par l’ajout de l'anticorps monoclonal IV-3 ou par les immunoglobulines indiquant que l'activation plaquettaire observée était médiée par le récepteur Fcγ des immunoglobulines.
Tous les patients ont des anticorps anti-Facteur 4 plaquettaire
Ultérieurement, les auteurs ont étudié les sérums de patients qui leur étaient adressés parce qu'ayant présenté des thromboses post vaccin : au total 28 sérums ont été testés (comprenant ceux de l'étude initiale) : ils présentaient tous un test ELISA anti-PF4-héparine et un test ELISA anti-PF4 positifs et induisaient tous un test d'activation plaquettaire PF4 dépendante également positif. Dans deux cas, il a été possible de purifier par immunoaffinité l'anticorps anti-PF4 et de montrer qu'il induisait une forte activation plaquettaire induite spécifiquement par le PF4.
Ainsi le tableau thrombotique présenté par ces patients après vaccin évoque cliniquement un tableau de thrombopénie induite par l'héparine qui est due au développement d'anticorps dirigés contre les complexes multimoléculaires formés entre le PF4 cationique et l'héparine anionique. De fait il est retrouvé de façon constante chez les patients de cette étude des anticorps anti PF4-Héparine et anti PF4 par test ELISA. Néanmoins aucun patient n'avait reçu préalablement d'héparine ou un autre médicament polyanionique connu pour induire également ce type de thrombopénie. Il faut donc rapprocher le tableau de thrombopénie thrombotique présenté après vaccin par ces patients, caractérisé par la présence d'anticorps anti-PF4 et anti PF4-héparine (en dehors de toute administration d'héparine), de celui décrit au décours de certaines infections virales ou bactériennes voire après chirurgie prothétique du genou (1). Par rapport au tableau observé au cours des thrombopénies induites par l'héparine classiques, le tableau observé sans exposition préalable à l'héparine est souvent marqué par une thrombopénie particulièrement profonde, accompagnée de CIVD et compliquée de thromboses dans des territoires atypiques comme cela a été noté chez les patients de cette étude. A l'heure actuelle il est difficile de savoir si ces anticorps anti-PF4 sont des auto-anticorps développés dans le contexte de la forte réaction inflammatoire déclenchée par le vaccin ou des anticorps dirigés contre certains constituants du vaccin et présentant une réaction croisée avec le PF4. Il semble peu probable que l'adénovirus (virus par ailleurs connu pour être capable d'activer les plaquettes) présent à de très faibles concentrations dans le vaccin, ait été responsable d'une activation plaquettaire capable de déclencher un tel tableau thrombotique. Par contre le rôle de fragments d'ADN libre dans le vaccin n'est pas à exclure et ce d'autant plus que les auteurs ont montré antérieurement que des fragments d'ADN ou d'ARN étaient capables d'induire de tels anticorps anti PF4 -héparine dans un système murin (2).
Des immunoglobulines IV à fortes doses pour assurer la « clearance » des anticorps
Au plan clinique la connaissance de ce tableau et de son mécanisme sont de la première importance : ainsi devant la survenue d'une thrombopénie thrombotique chez un patient ayant reçu un vaccin 5 à 15 jours auparavant, la recherche d'anticorps anti PF4 s'impose, réalisable par ELISA ou immunodiffusion à grande échelle dans la plupart des laboratoires hospitaliers. La confirmation par un test fonctionnel d'activation plaquettaire PF4 dépendante avec inhibition in vitro par héparine est souhaitable. Néanmoins avant même les résultats de ces tests, l'administration d'immunoglobulines à fortes doses en intra-veineux peut être proposée dans ce contexte clinique ayant pour but d'accélérer la ''clearance'' des anticorps anti PF4 et la remontée du chiffre plaquettaire comme cela a pu être effectué au cours de thrombopénies induites par l'héparine classiques particulièrement sévères (3). Cette remontée du chiffre plaquettaire devrait faciliter la mise en route du traitement anticoagulant en proscrivant bien évidemment de façon formelle l'utilisation de l'héparine (sous toutes ses formes).
Le terme de ‘'vaccine-induced immune thrombotic thrombocytopenia (VITT)" soit "thrombopénie thrombotique immune induite par vaccin" est proposé par les auteurs.